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Du vieux jardin dont l’amitié t’a bien reçu,
Entends garçons et nids qui sifflent dans les haies,
Amoureux las de tant d’étapes et de plaies,
Schumann, soldat songeur que la guerre a déçu.
 
La brise heureuse imprègne, où passent des colombes,
De l’odeur du jasmin l’ombre du grand noyer,
L’enfant lit l’avenir aux flammes du foyer,
Le nuage ou le vent parle à ton cœur des tombes.
 
Jadis tes pleurs coulaient aux cris du carnaval
Ou mêlaient leur douceur à l’amère victoire
Dont l’élan fou frémit encor dans ta mémoire ;
Tu peux pleurer sans fin : Elle est à ton rival.
 
Vers Cologne le Rhin roule ses eaux sacrées.
Ah ! que gaiement les jours de fête sur ses bords
Vous chantiez ! – Mais brisé de chagrin, tu t’endors...
Il pleut des pleurs dans des ténèbres éclairées.
 
Rêve où la morte vit, où l’ingrate a ta foi,
Tes espoirs sont en fleurs et son crime est en poudre...
Puis éclair déchirant du réveil, où la foudre
Te frappe de nouveau pour la première fois.
 
Coule, embaume, défile aux tambours ou sois belle !
Schumann, ô confident des âmes et des fleurs,
Entre tes quais joyeux fleuve saint des douleurs,
Jardin pensif, affectueux, frais et fidéle,
Où se baisent les lys, la lune et l’hirondelle,
Armée en marche, enfant qui rêve, femme en pleurs !

Les Plaisirs et les Jours, Portraits de peintres et de musiciens, 1896

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