Victor Hugo

Puisqu’ici-bas toute âme

Puisqu’ici-bas toute âme
   Donne à quelqu’un
Sa musique, sa flamme,
   Ou son parfum ;
 
Puisqu’ici toute chose
   Donne toujours
Son épine ou sa rose
   A ses amours ;
 
Puisqu’avril donne aux chênes
   Un bruit charmant ;
Que la nuit donne aux peines
   L’oubli dormant ;
 
Puisque l’air à la branche
   Donne l’oiseau ;
Que l’aube à la pervenche
   Donne un peu d’eau ;
 
Puisque, lorsqu’elle arrive
   S’y reposer,
L’onde amère à la rive
   Donne un baiser ;
 
Je te donne, à cette heure,
   Penché sur toi,
La chose la meilleure
   Que j’aie en moi !
 
Reçois donc ma pensée,
   Triste d’ailleurs,
Qui, comme une rosée,
   T’arrive en pleurs !
 
Reçois mes voeux sans nombre,
             Ô mes amours !
Reçois la flamme ou l’ombre
   De tous mes jours !
 
Mes transports pleins d’ivresses,
   Purs de soupçons,
Et toutes les caresses
   De mes chansons !
 
Mon esprit qui sans voile
   Vogue au hasard,
Et qui n’a pour étoile
   Que ton regard !
 
Ma muse, que les heures
   Bercent rêvant,
Qui, pleurant quand tu pleures,
   Pleure souvent !
 
Reçois, mon bien céleste,
   Ô ma beauté,
Mon coeur, dont rien ne reste,
   L’amour ôté !
 
                       Le 19 mai 1836.

Les voix intérieures (1837)

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