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La tête de Kenwarc’h

Loin du cap de Penn’hor, où hurlait la mêlée
Sombre comme le rire amer des grandes eaux,
Bonds sur bonds, queue au vent, crinière échevelée,
Va ! Cours, mon bon cheval, en ronflant des naseaux.
 
Qu’il est sombre, le rire amer des grandes Eaux !
 
Franchis roc, val, colline et bruyère fleurie.
Sur le funèbre cap que la mer ronge et bat,
Kenwarc’h le chevelu, le vieux loup de Kambrie,
Gît, mort, dans la moisson épaisse du combat.
 
Oh ! Le cap de Penn’hor que la mer ronge et bat !
 
Cris et râles ont fait silence sous la nue :
L’âme des braves vole à l’étoile du soir,
La tête de Kenwarc’h pend sur ma cuisse nue
Et d’un flux rouge et chaud asperge ton poil noir.
 
L’âme farouche vole à l’étoile du soir !
 
Oc’h ! Le corbeau joyeux fouille sa blanche gorge ;
Moi, j’emporte sa tête aux yeux naguère ardents.
Par lourds flocons, pareille à la mousse de l’orge,
L’écume, avec le sang, filtre à travers ses dents.
 
Voici sa tête blême aux yeux naguère ardents !
 
Je ne l’entendrai plus, cette tête héroïque,
Sous la torque d’or roux commander et crier ;
Mais je la planterai sur le fer de ma pique :
Elle ira devant moi dans l’ouragan guerrier.
 
Oc’h ! Oc’h ! C’est le Saxon qui l’entendra crier !
 
Elle me mènera, Kenwarc’h ! Jusques au lâche
Qui t’a troué le dos sur le cap de Penn’hor.
Je lui romprai le cou du marteau de ma hache
Et je lui mangerai le cœur tout vif encor !
 
Kenwarc’h ! Loup de Kambrie ! oh ! le Cap de Penn’hor !

Poèmes tragiques (1895)

#ÉcrivainsFrançais

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