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Les Muses au tombeau.

Près de la pierre close
Sous laquelle repose
Théophile Gautier,
   (Non tout entier,
 
Car par son œuvre altière
Ce dompteur de matière
Est comme auparavant
   Toujours vivant,)
 
Regardant cette tombe
De leurs yeux de colombe,
Les Muses vont pleurant
   Et soupirant.
 
Toutes se plaignent : celle
Dont l’œil sombre étincelle
Et qui réveille encor
   Le clairon d’or,
 
Celle que le délire
Effréné de la Lyre
Offre aux jeux arrogants
   Des ouragans,
 
Celle qui rend docile
Un mètre de Sicile
Et tire du roseau
   Des chants d’oiseau,
 
Celle qui, dans son rêve
Farouche, porte un glaive
Frissonnant sur son flanc
   Taché de sang,
 
Et celle qui se joue
Et pour orner sa joue
Prend aux coteaux voisins
   Les noirs raisins,
 
Et la plus intrépide,
La Nymphe au pied rapide,
Celle qui, sur les monts
   Où nous l’aimons,
 
Par sa grâce savante,
Fait voir, chanson vivante,
Les rhythmes clairs dansants
   Et bondissants.
 
Oui, toutes se lamentent
Et pieusement chantent
Dans l’ombre où leur ami
   S’est endormi.
 
Car il n’en est pas une
Qui n’ait eu la fortune
D’obtenir à son tour
   Son fier amour ;
 
Pas une qu’en sa vie
Il n’ait prise et ravie
Par un chant immortel
   Empli de ciel !
 
Ses pas foulaient ta cime,
Mont neigeux et sublime
Où nul Dieu sans effroi
   Ne passe ; et toi,
 
Fontaine violette,
Il a vu, ce poëte,
Errer dans tes ravins
   Les chœurs divins !
 
Et toi, monstre qui passes
A travers les espaces,
Usant ton sabot sur
   Les cieux d’azur,
 
Cheval aux ailes blanches
Comme les avalanches,
Tu prenais ton vol, l’œil
   Ivre d’orgueil,
 
Quand sa main blanche et nue
T’empoignait sous la nue,
Ainsi que tu le veux,
   Par les cheveux !
 
Mais, ô Déesses pures,
Ornez vos chevelures
De couronnes de fleurs,
   Séchez vos pleurs !
 
Car le divin poëte
Que votre voix regrette
Va sortir du tombeau
   Joyeux et beau.
 
Les Odes qu’il fit naître
Lui redonneront l’être
A leur tour, et feront
   Croître à son front
 
Victorieux de l’ombre,
L’illustre laurier sombre
Que rien ne peut faner
   Ni profaner.
 
Toujours, parmi les hommes,
Sur la terre où nous sommes
Il restera vivant,
   Maître savant
 
De l’Ode cadencée,
Et sa noble pensée
Que notre âge adora,
   Joyeuse, aura
 
Pour voler sur les lèvres
Que brûleront les fièvres
De notre humanité
   L’éternité !

Odelettes (1856)

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