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Anti-platon

Il s’agit bien de cet objet : tête de cheval plus grande que nature où s’incruste toute une ville, ses rues et ses remparts courant entre les yeux, épousant le méandre et rallongement du museau. Un homme a su construire de bois et de carton cette ville, et l’éclairer de biais d’une lune vraie, il s’agit bien de cet objet : la tête en cire d’une femme tournant échevelée sur le plateau d’un phonographe.

Toutes choses d’ici, pays de l’osier, de la robe, de la pierre, c’est-à-dire : pays de l’eau sur les osiers et les pierres, pays des robes tachées. Ce rire couvert de sang, je vous le dis, trafiquants d’éternel, visages symétriques, absence du regard, pèse plus lourd dans la tête de l’homme que les parfaites Idées, qui ne savent que déteindre sur sa bouche.

II

L’arme monstrueuse une hache aux cornes d’ombre
portée sur les pierres. Arme de la pâleur et du cri quand tu tournes blessée
dans la robe de fête. Une hache puisqu’il faut que le temps s’éloigne sur ta
nuque, O lourde et tout le poids d’un pays sur tes mains l’arme
tombe.

III

Quel sens prêter à cela : un homme forme de cire et de couleurs le simulacre d’une femme, le pare de toutes les ressemblances, l’oblige à vivre, lui donne par un jeu d’éclairages savant cette hésitation même au bord du mouvement qu’exprime aussi le sourire.

Puis s’arme d’une torche, abandonne le corps entier aux caprices de la flamme, assiste à la déformation, aux ruptures de la chair, projette dans l’instant mille figures possibles, s’illumine de tant de monstres, ressent comme un couteau cette dialectique funèbre où la statue de sang renaît et se divise, dans la passion de la cire, des couleurs ?

IV

Le pays du sang se poursuit sous la robe en courses toujours noires
Quand on dit, Ici commence la chair de nuit et s’ensablent les fausses routes
Et toi savante tu creuses pour la lumière de hautes lampes dans les troupeaux
Et te renverses sur le seuil du pays fade de la mort.

V

Captif d’une salle, du bruit, un homme mêle des cartes. Sur l’une : « Éternité, je te hais ! » Sur une autre : « Que cet instant me délivre ! »
Et sur une troisième encore l’homme écrit : « Indispensable mort. » Ainsi sur la (aille du temps marche-t-il, éclairé par sa blessure.

VI

Nous sommes d’un même pays sur la bouche de la
lerre. Toi d’un seul jet de fonie avec la complicité des
feuillages El celui qu’on appelle moi quand le jour baisse El que les portes s’ouvrent et qu’on parle de mort.

VII

Rien ne peut l’arracher à l’obsession de la chambre noire. Penché sur une cuve essaye-t-il de fixer sous la nappe d’eau le visage : toujours le mouvement des lèvres triomphe.

Visage démâté, visage en perdition, suffit-il de loucher ses dents pour qu’elle meure ? Au passage des doigts elle peut sourire, comme cède le sable sous les pas.

VIII

Captive entre deux voleurs de surfaces vertes calcinée Et ta tète pierreuse offerte aux draperies du vent, Je te regarde pénétrer dans l’été (comme une niante
funèbre dans le tableau des herbes noires), Je t’écoute crier au revers de l’été.

IX

On lui dit : creuse ce peu de terre meuble, sa tète, jusqu’à ce que tes dents retrouvent une pierre.
Sensible seulement à la modulation, au passage, au frémissement de l’équilibre, à la présence affirmée dans son éclatement déjà de toute part, il cherche la fraîcheur de la mort envahissante, il triomphe aisément d’une éternité sans jeunesse et d’une perfection sans brûlure.
Autour de cette pierre le temps bouillonne. D’avoir touché cette pierre : les lampes du monde tournent, l’éclairage secret circule.

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