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L’impôt du pauvre.

Le percepteur trouve qu’on tarde ;
Il veut être payé ce soir.
—J’ai quelques sous, mais je les garde
Pour vous acheter du pain noir.
Si je n’en porte à votre mère,
Enfants, la soupe manquera !...
—Va payer l’impôt, pauvre père ;
Nous mangerons... quand Dieu voudra.
 
Le travail, toute la semaine,
Charge mes membres harassés ;
Eh bien ! Que m’importe la peine,
Lorsque pour vous je gagne assez !
Le soir, en me couchant, j’espère
Qu’un meilleur jour demain luira...
—Va payer l’impôt, pauvre père ;
Nous mangerons... quand Dieu voudra.
 
—La faim !... par les miens endurée !...
—A l’Etat il faut de l’argent,
Et c’est pour nourrir sa livrée
Que le lise se montre exigeant.
Le budget qu’on nous délibère
A plus d’un milliard montera.
Va payer l’impôt, pauvre père ;
Nous mangerons... quand Dieu voudra.
 
—Quoi ! Pas de pain pour ma famille !
—Le trône a besoin de splendeur.
On veut que tout courtisan brille ;
Au pays cela fait honneur.
Tout l’hiver, chaque ministère
Par ordre de jours recevra.
Va payer l’impôt, pauvre père ;
Nous mangerons... quand Dieu voudra.
 
—Pour engraisser leur politique
Faudra-t-il vendre nos haillons !
—A nos vieux amis d’Amérique
On a pavé vingt-cinq millions.
Le czar présente avec colère
Un vieux compte... on le réglera.
Va payer l’impôt, pauvre père ;
Nous mangerons... quand Dieu voudra.
 
—Ma bourse et mon buffet sont vides...
—Paris de merveilles s’emplit,
On bâtit des palais splendides,
Versailles même s’embellit.
Tribut d’une terre étrangère,
L’obélisque se dressera.
Va payer l’impôt, pauvre père ;
Nous mangerons... quand Dieu voudra.
 
—Avoir faim ! Ô pensée affreuse !
—On a faim dans tous les pays.
Des pauvres la race est nombreuse ;
Ils en ont cent mille à Paris.
Gras de luxe et de bonne chère,
Jack au fond d’an palais vivra.
Va paver l’impôt, pauvre père ;
Nous mangerons... quand Dieu voudra.
 
—Chers enfants ! Souffrir à votre âge !
—L’argent du fisc est bien placé.
Il fallait un pont au village,
C’est un chemin qu’on a tracé.
Le préfet possède une terre,
Tout près la route passera.
Va payer l’impôt, pauvre père ;
Nous mangerons... quand Dieu voudra.
 
—Payer, quand chez moi la disette...
—C’est là notre rôle éternel ;
Nous payons pour notre piquette,
Pour notre hutte et notre sel.
Ces taxes, incurable ulcère,
Le riche seul les votera...
Va payer l’impôt, pauvre père ;
Nous mangerons... quand Dieu voudra.
 
—Enfants, le besoin vous dévore ;
Je dois garder mes derniers sous !
—Qui dort dîne... Il nous reste encore
Un seul lit pour nous coucher tous.
Paie... ou ce grabat de misère
Le recors demain le vendra.
Va payer l’impôt, pauvre père ;
Nous mangerons... quand Dieu voudra.

Nouvelles chansons politiques (1838)

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