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La ruine.

En Grèce, j’ai trouvé, parmi les noirs érables
Et les lauriers profonds, dans un bois consacré,
Caché par les buissons les plus impénétrables,
Un vieux temple de Pan, en ruine, ignoré.
 
Pas un sentier ne mène à ces choses tombées,
Et quand vous allez là, par un instinct poussé,
Les branches devant vous par votre main courbées
Referment le chemin où vous êtes passé.
 
Sur les blancs chapiteaux et les feuilles d’acanthe
Son fronton se dressait jadis dans les azurs ;
Et sur ses bas-reliefs la lascive bacchante
D’un satyre aviné guidait les pas moins sûrs.
 
Plus loin, se déroulaient les longues promenades
Des fiers chevaux cabrés qui froncent les naseaux ;
Et sur son piédestal, au fond des colonnades,
Pan se tenait, avec ses merveilleux roseaux.
 
Pour porter à ses dents les flûtes inégales
Dont il aime à grouper les agrestes accords,
Le dieu ployait, avec le geste des cigales,
Ses coudes anguleux serrés contre son corps ;
 
Et ses jambes, aux pieds fourchus des boucs pareilles,
S’enlaçaient d’une humaine et bizarre façon.
Il écoutait, rieur et dressant les oreilles,
Les oiseaux d’alentour répéter sa leçon.
 
Il était là, toujours ses flûtes à ses lèvres ;
Et les bergers, laissant dans les rochers voisins
Bondir en liberté leurs béliers et leurs chèvres,
Déposaient devant lui des fleurs et des raisins.
 
Qu’est devenue, hélas ! sa superbe attitude ?
Le temps a fait son œuvre, encor moins que l’oubli.
Plus rien ! Destruction, silence, solitude,
Écroulement d’un dieu passé, règne accompli !
 
D’inégales hauteurs les colonnes brisées
S’élèvent çà et là ; l’herbe partout a crû ;
Les tronçons sur le sol verdis par les rosées
Gisent : on cherche en vain le profil apparu.
 
Jamais d’hôte ; jamais une vierge qui cueille
Un sarment vert ; jamais le rire d’un enfant.
Jamais de bruit, sinon la chute d’une feuille
Ou le taillis froissé par la course d’un faon.
 
Le jour qu’il m’apparut, pourtant de ce ravage
L’antique monument encor s’ennoblissait,
Paraissant accepter comme un linceul sauvage
La végétation qui l’ensevelissait.
 
Il s’était couronné d’une herbe échevelée,
Et de pampres grimpeurs chaque fût s’entourait.
Déjà la colonnade était presque une allée,
Et la ruine allait rejoindre la forêt.
 
Il doit périr ainsi. La nature féconde,
Sa mère, veut cacher les restes superflus
De ce culte donné jadis par elle au monde,
Et qu’il abandonna, ne le comprenant plus.
 
Pieuse, et protégeant le repos des vieux marbres,
Elle prodigue l’herbe et les épais fourrés,
Et, pour ce saint devoir, elle ordonne à ses arbres
D’incliner leurs rameaux sur ces débris sacrés.
 
Pour les poètes seuls, gardiens de son grand culte,
Elle a voulu, jalouse, ainsi les conserver.
Ta curiosité lui serait une insulte,
Profane voyageur qui ne sais plus rêver.
 
Elle est fière ; elle voile à tes regards indignes,
Homme de notre temps, ces antiques débris,
Et sous ses frondaisons, ses lianes, ses vignes,
Elle veut les soustraire à tes hautains mépris.
 
Car tu la méconnais ; car tu n’as plus d’hommage
Pour l’éternel travail de son sein généreux.
Tu hais même tes dieux créés à ton image,
Et tu vas, satisfait d’un scepticisme creux.
 
De la divinité tu veux d’autres exemples
Que tout cet univers splendide que tu vois.
Il ne te suffit plus pour ériger des temples
D’un son lointain de flûte entendu dans les bois.
 
Quand les flots retombant avec leur bruit d’enclume
Entraînent tes vaisseaux vers les écueils amers,
Tu ne vois plus passer, le poitrail dans l’écume,
Les chevaux emportant le char du dieu des mers ;
 
Et, quand sur tes cités tremblantes les orages
Roulent leurs grondements profonds et leurs feux clairs,
Tu ne vois plus paraître, au milieu des nuages,
La monstrueuse main qui brandit les éclairs.
 
Mais, las de ton orgueil qui ne peut se résoudre
A croire aux dieux buvant dans les olympes bleus,
Les poètes, épris des flots et de la foudre,
S’envolent, par le rêve, aux siècles fabuleux.
 
Et toujours ils s’en vont, Grèce, vers tes ruines !
Derniers fervents de l’art, ils viennent y prier.
Vieille patrie ! Il faut ton air à leurs poitrines,
Ton air plein d’un parfum de myrte et de laurier,
 
Ton air pur et vibrant où sous un souffle tremblent
Les arbres élancés de tes bois toujours verts,
De tes bois pleins d’échos si sonores qu’ils semblent
Créés pour retentir au rythme des beaux vers.

Sonnets intimes et poèmes inédits (1911)

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