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Chanson des cireurs de souliers

Aujourd’hui l’homme blanc
 
Ne s’étonne plus de rien
 
Et quand il jette à l’enfant noir
 
Au gentil cireur de
Broadway
 
Une misérable pièce de monnaie
 
Il ne prend pas la peine de voir
 
Lee reflets du soleil miroitant à ses pieds
 
Et comme il va se perdre
 
Dans la foule de
Broadway
 
Ses pas indifférents emportent la lumière
 
Que l’enfant noir a prise au piège
 
En véritable homme du métier
 
La fugitive petite lumière
 
Que l’enfant noir aux dents de neige
 
A doucement apprivoisée
 
Avec une vieille brosse
 
Avec un vieux chiffon
 
Avec un grand sourire
 
Avec une petite chanson
 
La chanson qui raconte l’histoire
 
L’histoire de
Tom le grand homme noir
 
 
 
L’empereur des cireurs de souliers
 
Dans le ciel tout noir de
Harlem
 
L’échoppe de
Tom est dressée
 
Tout ce qui brille dans le quartier noir
 
C’est lui qui le fait briller
 
Avec ses grandes brosses
 
Avec ses vieux chiffons
 
Avec son grand sourire
 
Et avec ses chansons
 
C’est lui qui passe au blanc d’argent
 
Les vieilles espadrilles de la lune
 
C’est lui qui fait reluire
 
Les souliers vernis de la nuit
 
Et qui dépose devant chaque porte
 
Au
Grand
Hôtel du
Petit
Jour
 
Les chaussures neuves du matin
 
Et c’est lui qui astique les cuivres
 
De tous les orchestres de
Harlem
 
C’est lui qui chante la joie de vivre
 
La joie de faire l’amour et la joie de danser
 
Et puis la joie d’être ivre
 
Et la joie de chanter
 
Mais la chanson du
Noir
 
L’homme blanc n’y entend rien
 
Et tout ce qu’il entend
 
C’est le bruit dans sa main
 
Le misérable bruit d’une pièce de monnaie
 
Qui saute sans rien dire
 
Qui saute sans briller
 
Tristement sur un pied.
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