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Eaux-fortes

Dans la salle des
Pas
Perdus, ceux d’André
Breton sont restés et le temps, ce qu’on appelle et interpelle le temps, n’a rien à voir ni à entendre là-dehors ou là-dedans.

Marcel
Jean est surréaliste, peu importe ou exporte depuis quand.

Heureux mortels ! disait
MéFaustiphélès en riant à la barbe de l’effeuilleur de
Marguerite.

Marcel
Jean est l’un d’eux.

A la tristesse, à la tendresse, à la gaieté, il n’a jamais fermé sa porte mais à l’amertume il a dit simplement : « Donnez-vous la peine d’entrer. »

A peine s’est-elle donné cette peine qu’en souriant il l’a foutue dehors à coups de pied.

Il n’est ni sérieux ni égocentrique de gravité.
Pourtant j’en connais peu qui comme lui pourraient faire mentir le proverbe :
Impassible n’est pas français.

Rire de ne pas rire, cela semble être pour lui l’humour mais quand la mort est évoquée, pour un oui ou pour un non, dans le bref feu de joie d’une amicale conversation, il ne lui accorde aucune attention particulière.

C’est la cigarette qui compte et non le cendrier.

Pourtant la grande entretuerie mondiale, nationale-internationale ne le laisse pas indifférent, bien au contraire, mais il connaît la chanson, la vieille chanson, le pieux refrain :

« La mort dévore la vie qui digère la mort et la grande voix divine hurle bon appétit ! »

Mais il sait aussi que tout ça, « c’est dépassé » comme on dit aujourd’hui.

Bien sûr, encore, le tonnerre tonne mais l’homme alpha omégatonne.
Chaque jour trois mille tonnes de bombes, au
Viêt-nam, tombent et l’indignation universelle suit son cours rituel, pollué, aphone, inoffensif et traditionnel.

Ni dignitaire ni indignitaire de la
Haute
Cour des
Grandes
Idées,
Marcel
Jean n’est qu’un homme comme un autre, un autre qui serait comme lui et tant d’autres, lucide, libre et, comme
Paul Éluard, « aimant l’amour ».

Enfin, il est comme il est, c’est dire comme il s’ignore, se devine, s’égare, se retrouve, écrit, dessine, grave ou peint, mais ce qui est approximativement certain, c’est son état civil puéril et honnête.

Né à
La
Charité-sur-Loire, dans la
Nièvre, peut-être aurait-il pu tout aussi bien naître à
Poil ou à
La
Machine, dans la même zone, départementalement au lieu de théo-logalement.

Mais ceci n’est qu’incertitude généthliaque tout comme les signes du zodiaque des femmes nues dont
Marcel
Jean a fait le portrait inconnu.

Ces femmes, une légende les accompagne :
Forêt profonde ou
Blanche et
Brune,
Puits mystérieux ou
Horizon perdu.

Même en rêve, elles paraissent bienveillantes et la misogynie, l’inspiratrice, la sœur tourière de la
Grande littérature française, c’est vainement qu’elle tenterait de leur faire le mauvais clin d’oeil.

Ces femmes parlent sans rien dire,
Marcel
Jean n’a fait que les écouter.

« Que tais-je ? » disait
Motus qui n’en savait rien.

Elles, elles le savent parce qu’elles savent ce qu’elles veulent dire.
Des choses inouïes, des choses invues, dans un grand désordre calme, mouvant, lointain, tardivement immédiat, en plein passé-présent contre un devenir fou.

Femmes réellement rêvées, on dirait que par amour pour elles, par crainte aussi de leur force et de leurs charmes, la vie les a épargnées.

Pourtant ailleurs des femmes s’attrapent à la triperie cependant que leurs hommes s’étripent pour la patrie et de pauvres petites infidèles sont encore torturées par les derniers croisés de la
Nue propriété, cependant que sur les planches anatomiques des théâtres boulevardiers ou nationaux comme entre les vrais murs des véritables appartements premiers ou résidences secondaires, le triangle sacré– moi toi l’autre– de l’éternelle musique de chambre ardente et essoufflée poursuit, rideau tombé portes claquées, sa haineuse et palinodique ritournelle.

Eaux-fortes.

Ces femmes faisaient rêver à quelque chose de vrai,

à quelque chose de beau.
Beau comme une femme qui

sauve un oiseau-Mais le temps de tourner quelques pages et c’est un

homme, nu lui aussi, qui apparaît.

Il est assis, inoccupé, préoccupé.
Derrière lui, il y a

une plante verte, c’est son environnement.

Son image de marque :
Nu circonflexe, aide à comprendre que c’est un homme compliqué.

Des sphères, l’une d’elles derrière lui, les autres devant, pourraient le faire prendre pour un équilibriste, un jongleur, alors qu’il est peut-être tout simplement un penseur.

Chacun son métier.
Métaphysiquement, il évoque sans le vouloir la grande pensée du
Créateur perplexe lui aussi entre la matière et l’anti-matière : «
La sphère, faut

se la faire ! »

Comme c’est un homme, je ne suis pas tenu à la même discrétion qu’avec les femmes et rien ne m’empêche d’interpréter certains aspects de sa circonflexe perplexité.

Peut-être qu’égaré dans les fragiles méandres de sa cogitabilité, entre l’inné et l’acquis, l’imposé, le rejeté, le sacré, le profane, la curiosité restreinte et l’indifférence passionnée, réalise-t-il que la réponse : À rien, à la question : À quoi penses-tu, est la seule capable de mettre un terme à sa trop déprimante autocontroversation.

Mais rien ne pourrait non plus nous empêcher de supposer qu’il s’agit tout simplement d’un honorable cruciverbiste plongé dans les très confortables abîmes de la perplexité en découvrant par exemple dans un
Gros
Larousse, un
Petit
Robert ou un
Vieux
Littré que le
Hap-pechair– en usage bien avant mai 68– est l’ancienne fourche à ressort employée jadis par les policiers allemands pour appréhender les étudiants tapageurs et que le sisyphe est un coléoptère lamellicorne et coprophage, un bousier noir qui roule sa boule dans les régions chaudes de l’Ancien
Monde comme
Sisyphe, fils d’Eole et roi de
Corinthe, roulait éternellement sa pierre sur les monts d’Enfer.

De là à déduire que
Rouletabille est le descendant et le remontant de
Rouletabouse ou
Rouletapierre, il n’y a qu’un pas que l’homme grave et gravé assis par
Marcel
Jean hésite peut-être à envisager de franchir mais qui pourtant nous dirait sans doute pourquoi le presbytère n’a rien perdu de son charme ni le jardin de son éclat, énigme tout aussi intéressante que l’asphyxie d’un sphinx à
Sfax ou la disparition d’un serpent coïncidant avec la découverte d’un secrétaire dans le secrétaire d’un secrétaire ou bien encore les successives apparitions d’un nommé
Rodin dans les œuvres de
Sade, d’Eugène
Sue, d’Isidore
Ducasse et de
Paul
Claudel.

Enfin, tous ces faits divers de la nuit et du jour des temps, malgré le heurt des heures, les siècles à venir ou à s’en aller, sont contemporains de
Marcel
Jean, homme de son temps, c’est-à-dire des autres en même temps.

Marcel
Jean, né à la
Vérité, l’Amitié et l’Amour-sur-Loire, il y a déjà quelques années.

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