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Carqueiranne

Je les avais jadis visités, ces rivages
Où le cristal des eaux reflète un ciel si pur,
Où la terre embaumée abonde en fleurs sauvages,
Où le figuier s’incline et trempe ses feuillages
               Au maritime azur.
 
J’en avais emporté les images .heureuses ;
Dans mes songes, depuis, j’avais revu souvent
Les verts enclos ; le môle aux vieilles dalles creuses,
Les grands pins contournés, dont les voûtes ombreuses
               Chantent au moindre vent ;
 
Les sables où la mer aborde sans secousse ;
Le vallon, l’anse étroite,—asile reculé,
Où les sources du mont, ruisselant sur la mousse,
Viennent jusques au bord confondre leur eau douce
               Avec le flot salé ;
 
Et les lits d’herbe épaisse, et les tièdes collines,
Et les blocs de granit couronnés de vieux bois,
Et les débris romains, solennelles ruines...
—Oh ! vivre une saison sur ces plages divines !
               Avais-je dit parfois.
 
Vivre à deux, dans cette ombre et dans cette lumière ;
Fouler à deux la sauge et le thym du coteau ;
Se bâtir, au penchant de l’inculte bruyère,
Une demeure, un nid, soit palais, soit chaumière,
               Qu’importe en lieu si beau ?
 
Et là, des mois entiers, se donner à l’extase ;
Dans le bleu sans limite à loisir voyager ;
Voir l’aube qui vous rit en soulevant sa gaze ;
Voir, au soleil couchant, sur la mer qui s’embrase,
               Les Iles d’Or nager ;
 
Humer à pleins poumons cet air qui réconforte,
Qui rend une jeunesse au cœur du défaillant ;
Vivre des fruits du sol, du butin que rapporte
Le pêcheur familier,—qu’il jette à voire porte
               Encore tout frétillant ;
 
S’abriter, à midi, dans l’antre basaltique
Qu’ombrage la liane accrochée aux palmiers ;—
Lentisques, aloès, colonie exotique,
S’asseoir auprès de vous, rêver du monde antique
               Et des amours premiers !
 
Conduire l’adorée à l’ombre des grands chênes,
Me coucher dans les fleurs, le front sur ses genoux ;
Croire que tout finit aux montagnes prochaines,
Que le monde n’est plus, que la vie et ses chaînes
               N’existent plus pour nous ;
 
Renouveler sans fin les mutuelles flammes,
Et, les yeux vers le ciel, dire au Seigneur : Merci !
Et dire aux éléments, aux fleurs, aux vents, aux lames,
Dire aux astres des nuits :—N’avez-vous pas des âmes
               Qui tressaillent aussi ?...
 
Un jour donc, je voulus réaliser le rêve ;
Nous courûmes chercher le lieu d’enchantement.
Le soir du lendemain nous touchions à la grève :
La mer, la sombre mer que l’ouragan soulève,
               Grondait sinistrement !
 
Une jaune vapeur sur les eaux descendue
Anticipait la nuit et présageait un deuil ;
L’éclair illuminait ardemment l’étendue,
Et la vague jetait une barque éperdue
               Aux pointes de l’écueil.
 
Longue nuit de malheur !—Quand fut tombé l’orage,
Hélas ! Il fallut voir les naufragés meurtris
Se grouper sur le roc, sans abri, sans courage,
L’œil tourné vers la mer, qui, trois jours, au rivage
               Apporta les débris !

Les Poèmes de la mer (1859)

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