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Be thy grave ever green

                       Robert Walsh.
 
 
Paix et repos à toi ! Paix au front qui se pose
Au morne et noir chevet des tombeaux éplorés.
Paix et visions d’or, doux sommeil, rêve rose
                À tes mânes sacrés !
 
Au cœur du bon ami, que nul ver ne se cache !
Que nul impur limon ne macule le lys !
Paix au prêtre qui gît dans la blancheur sans tache
                De l’aube et du surplis.
 
De ses beaux ornements d’argent qu’on le revête !
L’hostie au cœur, il part pour la messe du ciel.
Et déjà les esprits de l’au-delà font fête
                Au diacre éternel.
 
Mort chéri, que le tertre où l’on a mis ta bière
Te soit toujours léger, toujours vert, toujours frais ;
Qu’il t’allège le poids de l’humble et triste pierre
                Qui redit nos regrets.
 
Nicolet l’accueillit sous ses doctes portiques ;
Et, maître génial, on vit, bientôt, s’asseoir
Le petit exilé des rivages celtiques,
                Parmi les princes du savoir.
 
Pourtant, dans cet éden de fleurs et de lumière,
Il souffrait de ce mal enchanteur et fatal
Qu’on nomme nostalgie, ou mieux : berceau, chaumière,
                Foyer, pays natal.
 
Voir Erin et mourir, voir sa chère patrie :
C’était son rêve ardent, son unique désir ;
Revoir les doux coteaux verts de l’île chérie,
                Et mourir de plaisir.
 
Épris de vous autant que les bardes antiques,
Il eut aimé dormir sa nuit près des aïeux,
Adare, Innisfallen, archipels romantiques,
                Îlots tombés des cieux !
 
Un jour, il vous revit, ô poétiques landes,
Chaumes moussus, clochers brunis, sombres castels,
Sol consacré, pays plein de vagues légendes
                Et de deuils immortels.
 
Il vous revit ; mais vous, empreintes toujours neuves
Des genoux d’une mère ou du front d’une sœur,
Souvenirs familiers, branches mortes et veuves
                Des anciens nids du cœur.
 
Vous fûtes sans réponse à l’ami de naguère,
Tombes, sentiers, berceau que la mousse voila.
Pas un ami connu, dans toute la bruyère,
                Pour dire : Le voilà !
 
Le cœur désenchanté par vos brillants mirages,
Eldorados sans or, oasis sans beauté,
Il s’en est allé vers les lumineux rivages
                De l’immortalité.
 
Qu’il dorme maintenant dans la grande nuit close,
Au carillon lointain des cloches de Shandon,
Tourné vers les vallons d’émeraude, qu’arrose
                L’azur du clair Shannon.
 
Que Dieu lui fasse ouïr le doux chapelet tendre
Qu’égrène avec ferveur la prière à genoux !
Que la harpe de Moore en sa nuit fasse entendre
                Les accords les plus doux !
 
Que l’ange souriant du souvenir effeuille
Sur son front, fleurs à fleurs, son rameau parfumé,
Plus suave aux défunts que n’est le chèvrefeuille
                Pour nous, aux jours de mai.
 
Qu’une brise d’Irlande, avec ce chant rythmique
Des lacs harmonieux où son vol s’est mouillé,
Berce amoureusement l’ombre mélancolique,
                L’ombre de l’exilé.

Les floraisons matutinales (1897)

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