Paul Verlaine

Pourquoi triste, ô mon âme

Pourquoi triste, ô mon âme
Triste jusqu’à la mort,
Quand l’effort te réclame,
Quand le suprême effort
Est là qui te réclame ?
 
Ah, tes mains que tu tords
Au lieu d’être à la tâche,
Tes lèvres que tu mords
Et leur silence lâche,
Et tes yeux qui sont morts !
 
N’as-tu pas l’espérance
De la fidélité,
Et, pour plus d’assurance
Dans la sécurité,
N’as-tu pas la souffrance ?
 
Mais chasse le sommeil
Et ce rêve qui pleure.
Grand jour et plein soleil !
Vois, il est plus que l’heure :
Le ciel bruit vermeil,
 
Et la lumière crue
Découpant d’un trait noir
Toute chose apparue
Te montre le Devoir
Et sa forme bourrue.
 
Marche à lui vivement,
Tu verras disparaître
Tout aspect inclément
De sa manière d’être,
Avec l’éloignement.
 
C’est le dépositaire
Qui te garde un trésor
D’amour et de mystère,
Plus précieux que l’or,
Plus sûr que rien sur terre,
 
Les biens qu’on ne voit pas,
Toute joie inouïe,
Votre paix, saints combats,
L’extase épanouie
Et l’oubli d’ici-bas,
 
Et l’oubli d’ici-bas !

"Sagesse (1881)"

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