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Mai

Pendant que ce mois renouvelle
D’une course perpétuelle
La vieillesse et le tour des ans :
Pendant que la tendre jeunesse
Du ciel remet en allégresse
Les hommes, la terre, et le temps.
 
Pendant que les Arondelettes
De leurs gorges mignardelettes
Rappellent le plus beau de l’an,
Et que pour leurs petits façonnent
Une couette, qu’ils maçonnent
De leur petit bec artisan.
 
En ce mois Venus la sucrée,
Amour, et la troupe sacrée
Des Grâces, des Ris, et des Jeux,
Vont rallumant dedans nos veines
L’ardeur des amoureuses peines,
Qui glissent en nous par les yeux.
 
Pendant que la vigne tendrette,
D’une entreprise plus secrète
Forme le raisin verdissant,
Et de ses petits bras embrasse
L’orme voisin, qu’elle entrelace
De pampre mollement glissant :
 
Et que les brebis camusettes
Tondent les herbes nouvelettes,
Et le chevreau à petits bons
Échauffe sa corne et sautelle
Devant sa mère, qui broutelle
Sur le roc les tendres jetons.
 
Pendant que la voix argentine
Du Rossignol, dessus l’épine
Dégoise cent fredons mignards :
Et que l’Avette ménagère
D’une aile tremblante et légère
Vole en ses pavillons bruyards.
 
Pendant que la terre arrosée
D’une fraîche et douce rosée
Commence à brouter et germer :
Pendant que les vents des Zéphyrs
Flattent le voile des navires
Frisant la plaine de la mer.
 
Ce pendant que les tourterelles,
Les pigeons et les colombelles
Font l’amour en ce mois si beau,
Et que leurs bouchettes beffonnes
À tours et reprises mignonnes
Frayent près le coulant d’une eau.
 
Et que la tresse blondissante
De Cerés, sous le vent glissante,
Se frise en menus crépillons,
Comme la vague redoublée
Pli sur pli s’avance écoulée
Au galop dessus les sablons.
 
Bref, pendant que la terre, et l’onde
Et le flambeau de ce bas monde,
Se réjouissent à leur tour,
Pendant que les oiseaux se jouent
Dedans l’air, et les poissons nouent
Sous l’eau pour les feux de l’Amour :
 
Qu’il te souvienne, ma chère âme,
De ta moitié, ta sainte flamme,
Et de son parler gracieux,
Des chastes feux et grâces belles,
Et de ses vertus immortelles
Qui se logent dedans ses yeux.
 
Qu’il te souvienne que les roses
Du matin jusqu’au soir écloses,
Perdent la couleur et l’odeur,
Et que le temps pille et dépouille
Du printemps la douce dépouille,
Les feuilles, le fruit, et la fleur.
 
Souviens-toi que la vieillesse
D’une courbe et lente faiblesse
Nous fera chanceler le pas,
Que le poil grison et la ride,
Les yeux cavés et la peau cuide
Nous traîneront tous au trépas.
 
Va donc, et que ces charmeresses,
Ces Muses, ces sœurs piperesses
N’enchantent ton gentil esprit.
Bouche tes oreilles de cire
Et sauf de péril te retire
À cet œil qui premier te prit.
 
Or que la Seine vienne étendre
Ses bras courbés pour te surprendre
Et te nourrir en son Paris
Malgré les faveurs de Garonne,
À ton retour qui te couronne
Comme l’un de ses favoris.
 
Or que tu laisses une plainte,
Un regret, à la troupe sainte,
Qui t’honore et te vante sien,
Et qui jusqu’aux rives barbares
Publiera les louanges rares
De tes vertus, et le nom tien.
 
Va donc, et prend la jouissance
Des soupirs, qu’une longue absence
A fait renaître dedans toi :
Va que Paris ne te retienne,
Ma chère âme, et qu’il te souvienne
Des Muses, d’Amour, et de moi.

La Bergerie (1565)

#ÉcrivainsFrançais

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