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Dédicace

Et j’ai dit qu’il fallait rire et j’ai dit qu’il allait chanter ;
Laurent
Tailhade,
Apollinaire,
Je suis venu par les allées...
je suis venu jusqu’à la rade :
un cargo-boat y accostait,
on déchargeait des marmelades
de cœurs meurtris et de fruits blets.
 
Mais quand j’ai voulu savoir l’heure, mais quand j’ai cherché mon cœur dans la poche de mon gilet, j’ai vu qu’un archer vainqueur vers le soleil vous emportait !
 
A
Rene
Crevel
 
Je suis passé dans une rue étrange
où des enfants blonds compissaient leurs langes.
A la porte d’un restaurant un écriteau était collé :
 
ICI
ON
PEUT
APPORTER
SON
MANGER
 
A la porte d’un hôtel meublé un écriteau était collé :
 
ICI
ON
PEUT
APPORTER
SON
AMOUR
 
A
Eugène et
Lucienne de
Kermadec
 
Mon tombeau mon joli tombeau, il sera peint au ripolin avec des agrès de bateau et des tatouages de marin.
 
Sur mon tombeau un phonographe chantera soir et matin la complainte du guerrier cafte navré d’un coup d’œil libertin.
 
Sur mon tombeau un phonographe récitera cette épitaphe
 
LIBERTÉ ÉGALITÉ
FRATERNITÉ
 
A
Benjamin
Péret
 
Si tu chantes la
Marseillaise
pourquoi faut-il qu’il te déplaise
de la chanter sur l’air de complainte sensible
de tel petit navire au mousse comestible.
Calligraphie les factures
et vérifie les additions,
tu marieras des rimes après la fermeture
et des alexandrins pendant tes ablutions
Métro—chemin de fer de ceinture.
Faits divers—table de nuit—
Bougie—réveil matin—
Une fois par mois cinq francs aux putains—
chaque soir à sept heures le potage attendu—
 
LES
MANUSCRITS
NON
INSÉRÉS
NE
SONT
PAS
RENDUS
 
J’entrai dans le grand magasin
au rayon de la quincaillerie
le commis lisait
 
Francis
Jammes
 
et pendant deux heures il me fit la réclame
en alexandrins.
Il consentit enfin à me vendre un piège à rat.
Quand je sortis il faisait nuit, une femme fardée m’accosta :
 
Elle avait lu
Francis
Jammes
 
et pendant deux heures elle me fit la réclame
en alexandrins.
Elle avait une carte qu’elle montra :
Elle était
 
BREVETÉE
S.G.D.G.
 
A
Pierre
Scordel
 
Sur les tempes le père a deux virgules
Il sait jouer du clairon
Vous pourrez lire son nom sur les murs des cellules des casernes d’Afrique.
 
Pour exciter les mâles
après dîner dans les rues transversales
La mère
rattache sa jarretière
La fille est bonne à tout faire
à tout faire chez un vieux monsieur
Et maquillé le fils dans les bars clandestins
à l’entour de la
Madeleine
du soir au petit matin
erre comme une âme en peine.
 
Il déjeune tous les jours dans cette famille
Il y boit tous les jours la même camomille
Il y mange tous les jours de la
 
CUISINE
BOURGEOISE
 
A
Paul
Smara
 
Elles sont mortes les abeilles au cimetière des
Lilas
Si vous voulez du chocolat
Mettez deux sous dans l’appareil
 
Il est mort notre
Apollinaire et mort aussi
Laurent
Tailhade
Cinq abeilles volent dans l’air et les sirènes de naguère pour moi s’abattent dans la rade
 
Meurent les porte-lyre le rimeur
Jean
Aicard ouvre la bouche en tirelire
 
SI
VOUS
VOULEZ
DU
CHOCOLAT
METTEZ
DEUX
SOUS
DANS
L’APPAREIL.
 
Si vous allez chez l’épicier
 
Prenez du poivre de
Cayenne,
Une escadre ce soir va-t-elle appareiller
Sur une mer de sauce tomate et de rhum ?
Allez chez l’épicier de la rue
Saint-Sauveur
Il y a prime à tout acheteur
 
Petit garçon qui veux aimer
Connâis-tu l’épicier d’amour ?
C’est au
Palais des
Courtisanes
 
A
Jacques
Baron
 
Va-t’en chez le tailleur en sifflant le
God save the king
Pour le veston ou le smoking
IL
FAUT
LAISSER
DES
ARRHES
 
Va-t’en chez le fripier des semaines à venir uniforme de pompier, camisole, froc ou tunique : à ton goût tu pourras choisir.
 
Mais les semaines du passé jamais ne pourront revenir chez le fripier de ton destin
 
H.
FAUT
LAISSER
DES
ARRHES
 
A
Max
Morue
 
Chicago
Les tramways font un bruit de pâte à beignets
quand on la met dans l’huile.
Dans la prairie il y a un cow-boy :
Il crève les étoiles à coups de revolver
pour éterniser la naissance de son fils.
Caché derrière un caroubier il dort
le pirate de la savane oublié dans un roman de
 
Gustave
Aymard.
 
Dans la prison de
Chicago il y a un assassin poitrinaire par trois dames aux mains blanches aux yeux d’émail par un docteur aux lunettes d’écaillé par un clergyman rasé au rasoir star soigné
Courage ! ont dit les trois dames aux mains blanches
Courage ! avait dit le docteur à lunettes d’écaillé
Demain il pourra se lever
Courage a répété le clergyman rasé au rasoir star
Demain il pourra se lever
et quand il pourra se lever
on l’emmènera se faire électrocuter.
 
A
Georges
Gautre
 
Il est interdit de cracher par terre et le plafond est de forme circulaire.
Une poule a pondu sur les fauteuils de cuir et d’or mais nul coq du futur n’en sortira jamais
Poussin.
Les œufs à la coque
nul ne les a brisés
Vienne un bandit de l’Orénoquc
en
Peau-Rouge déguisé.
Bouche ouverte à l’instar d’un ténor
Jean
Richepin lit un discours sur la rosière de
Nanterre,
 
IL
EST
INTERDIT
DE
CRACHER
PAR
TERRE.
 
Je sais un champion de billard qui porte perruque et lorgnon qui à
Londres, dans le brouillard, avec la femme d’un mercier
 
FAIT
L’AMOUR
AUX
PETITS
OIGNONS
 
sans l’aimer ni la remercier.
Dans ce fromage il a laissé quatre molaires et son faux nez.
Passez-moi le sel de
Ninive
Servez, servez-moi des olives,
Pour évoquer dans mon assiette
La
Canebière et la
Joliette.
Autres oeuvres par Robert Desnos...



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