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Enfantillage

Madame, vous étiez petite,
   J’avais douze ans ;
Vous oubliez vos courtisans
   Bien vite !
 
Je ne voyais que vous au jeu
   Parmi les autres ;
Mes doigts frôlaient parfois les vôtres
   Un peu...
 
Comme à la première visite
   Faite au rosier,
Le papillon sans appuyer
   Palpite,
 
Et de feuille en feuille, hésitant,
   S’approche, et n’ose
Monter droit au miel que la rose
   Lui tend,
 
Tremblant de ses premières fièvres,
   Mon cœur n’osait
Voler droit, des doigts qu’il baisait,
   Aux lèvres.
 
Je sentais en moi, tour à tour,
   Plaisir et peine,
Un mélange d’aise et de gêne :
   L’amour.
 
L’amour à douze ans ! Oui, madame,
   Et vous aussi,
N’aviez-vous pas quelque souci
   De femme ?
 
Vous faisiez beaucoup d’embarras,
   Très occupée
De votre robe, une poupée
   Au bras.
 
Si j’adorais, trop tôt poète,
   Vos petits pieds,
Trop tôt belle, vous me courbiez
   La tête.
 
Nous menâmes si bien, un soir,
   Le badinage,
Que nous nous mîmes en ménage,
   Pour voir.
 
Vous parliez de bijoux de noces,
   Moi du serment,
Car nous étions différemment
   Précoces.
 
On fit la dînette, on dansa ;
   Vous prétendîtes
Qu’il n’est noces proprement dites
   Sans ça.
 
Vous goûtiez la plaisanterie
   Tant que bientôt
J’osai vous appeler tout haut :
   Chérie,
 
Et je vous ai (car je rêvais)
   Baisé la joue ;
Depuis ce soir-là je ne joue
   Jamais.

Les vaines tendresses (1875)

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