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À Zélie.

Ma sœur, ma sœur, n’est-il pas de défense
     Contre l’affront du temps ?
Qui les a pris, ces jours de notre enfance
     Où, les cheveux flottants,
 
Beaux, enviés par les mères jalouses,
     Couple au regard vermeil,
Tu me suivais à travers les pelouses,
     Malgré le grand soleil ?
 
Te souvient-il de ce jardin sauvage
     Tout au cœur de Moulins,
Où nous courions, ignorant tout servage,
     Sous les arbres câlins ?
 
Il était triste et rempli de mystères.
     Jamais ses beaux fruits mûrs
N’étaient cueillis, et les pariétaires
     Envahissaient les murs.
 
Sur leur sommet que la mousse inégale
     Peignait de ses couleurs,
Montait superbe un rosier du Bengale
     Écrasé sous les fleurs.
 
Parfois, bercé dans un songe illusoire
     Dont s’enchantent mes yeux,
Quand je revois au fond de ma mémoire
     Ce lieu mystérieux,
 
Mon souvenir, empli de ses murmures
     Et de ses floraisons,
Y réunit les diverses parures
     De toutes les saisons,
 
Et tout se mêle ainsi qu’une famille :
     Les soucis et les lys,
La vigne folle avec la grenadille ;
     Près des volubilis
 
Le glaïeul rose et ses feuilles en pointes ;
     Partout le vert lézard
Venait courir sur les pierres disjointes ;
     La liberté sans art
 
Avait rendu leurs énergiques poses
     Aux vieux arbres fruitiers,
Et sur le mur pendaient, blanches et roses,
     Des touffes d’églantiers,
 
Les nénufars, dans la mare déserte,
     Fleurissaient sur les eaux,
Où se formait une enveloppe verte
     A l’abri des roseaux.
 
Dis, nous vois-tu dévastant les groseilles
     Et les grains du cassis ?
Autour de nous voltigeaient les abeilles,
     L’éclatante chrysis,
 
Et mille oiseaux, en bandes familières,
     Se penchaient tout le jour
Pour boire, au bord des urnes que des lierres
     Tapissaient à l’entour.
 
La solitude avait pris sa revanche.
     Dans ce recueillement
L’ortie, hélas ! coudoyait la pervenche :
     C’était morne et charmant.
 
Nous jouions là, gais pour une chimère,
     Courant, ou bien assis
Dans le gazon. Parfois notre grand’mère,
     La veuve aux chers soucis
 
Qui fut si belle et qui mourut si jeune,
     Se montrait sur le seuil,
Le front pâli comme par un long jeûne,
     Triste et douce, en grand deuil.

Odelettes (1856)

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