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Insomnie

Insomnie, impalpable Bête !
N’as-tu d’amour que dans la tête ?
Pour venir te pâmer à voir,
Sous ton mauvais oeil, l’homme mordre
Ses draps, et dans l’ennui se tordre !...
Sous ton oeil de diamant noir.
 
Dis : pourquoi, durant la nuit blanche,
Pluvieuse comme un dimanche,
Venir nous lécher comme un chien :
Espérance ou Regret qui veille.
À notre palpitante oreille
Parler bas... et ne dire rien ?
 
Pourquoi, sur notre gorge aride,
Toujours pencher ta coupe vide
Et nous laisser le cou tendu,
Tantales, soiffeurs de chimère :
–Philtre amoureux ou lie amère
Fraîche rosée ou plomb fondu ! –
 
Insomnie, es-tu donc pas belle ?...
Eh pourquoi, lubrique pucelle,
Nous étreindre entre tes genoux ?
Pourquoi râler sur notre bouche,
Pourquoi défaire notre couche,
Et... ne pas coucher avec nous ?
 
Pourquoi, Belle-de-nuit impure,
Ce masque noir sur ta figure ?...
–Pour intriguer les songes d’or ?...
N’es-tu pas l’amour dans l’espace,
Souffle de Messaline lasse,
Mais pas rassasiée encor !
 
Insomnie, es-tu l’Hystérie...
Es-tu l’orgue de barbarie
Qui moud l’Hosannah des Élus ?...
–Ou n’es-tu pas l’éternel plectre,
Sur les nerfs des damnés-de-lettre,
Râclant leurs vers – qu’eux seuls ont lus.
 
Insomnie, es-tu l’âne en peine
De Buridan – ou le phalène
De l’enfer ? – Ton baiser de feu
Laisse un goût froidi de fer rouge...
Oh ! viens te poser dans mon bouge !...
Nous dormirons ensemble un peu.

Les Amours jaunes (1873)

#ÉcrivainsFrançais

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