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Paris

Bâtard de Créole et Breton,
Il vint aussi là – fourmilière,
Bazar où rien n’est en pierre,
Où le soleil manque de ton.
 
–Courage ! On fait queue.... Un planton
Vous pousse à la chaîne – derrière ! –
... Incendie éteint, sans lumière ;
Des seaux passent, vides ou non.—
 
Là, sa pauvre Muse pucelle
Fit le trottoir en demoiselle,
Ils disaient : Qu’est-ce qu’elle vend ?
 
–Rien. – Elle restait là, stupide,
N’entendant pas sonner le vide
Et regardant passer le vent...
 
                      —————
 
Là : vivre à coups de fouet ! – passer
En fiacre, en correctionnelle ;
Repasser à la ritournelle,
Se dépasser, et trépasser !...
 
–Non, petit, il faut commencer
Par être grand – simple ficelle –
Pauvre : remuer l’or à la pelle ;
Obscur : un nom à tout casser !...
 
Le coller chez les mastroquets,
Et l’apprendre à des perroquets
Qui le chantent ou qui le sifflent...
 
–Musique ! – C’est le paradis
Des mahomets et des houris,
Des dieux souteneurs qui se giflent !
 
                      —————
 
               « Je voudrais que la rose, – Dondaine !
               Fût encore au rosier, – Dondé ! »
 
Poète. – Après ?... Il faut la chose :
Le Parnasse en escalier,
Les Dégoûteux, et la Chlorose,
Les Bedeaux, les Fous à lier....
 
L’Incompris couche avec sa pose,
Sous le zinc d’un mancenillier ;
Le Naïf « voudrait que la rose,
Dondé ! fût encore au rosier ! »
 
« La rose au rosier, Dondaine ! »
–On a le pied fait à sa chaîne.
« La rose au rosier »... – Trop tard ! –
 
... « La rose au rosier »... – Nature !
–On est essayeur, pédicure,
Ou quelqu’autre chose dans l’art !
 
                      —————
 
J’aimais... – Oh, ça n’est plus de vente !
Même il faut payer : dans le tas,
Pioche la femme ! – Mon amante
M’avait dit : « Je n’oublierai pas... »
 
... J’avais une amante là-bas
Et son ombre pâle me hante
Parmi des senteurs de lilas...
Peut-être Elle pleure... – Eh bien : chante,
 
Pour toi tout seul, ta nostalgie,
Tes nuits blanches sans bougie...
Tristes vers, tristes au matin !...
 
Mais ici : fouette-toi d’orgie !
Charge ta paupière rougie,
Et sors ton grand air de catin !
 
                      —————
 
C’est la bohème, enfant : Renie
Ta lande et ton clocher à jour,
Les mornes de ta colonie
Et les bamboulas au tambour.
 
Chanson usée et bien finie,
Ta jeunesse... Eh, c’est bon un jour !...
Tiens : – C’est toujours neuf – calomnie
Tes pauvres amours... et l’amour.
 
Évohé ! ta coupe est remplie !
Jette le vin, garde la lie...
Comme ça. – Nul n’a vu le tour.
 
Et qu’un jour le monsieur candide
De toi dise – Infect ! Ah splendide ! –
... Ou ne dise rien. – C’est plus court.
 
                      —————
 
Évohé ! fouaille la veine ;
Évohé ! misère : Éblouir !
En fille de joie, à la peine
Tombe, avec ce mot-là. – Jouir !
 
Rôde en la coulisse malsaine
Où vont les fruits mal secs moisir,
Moisir pour un quart-d’heure en scène...
–Voir les planches, et puis mourir !
 
Va : tréteaux, lupanars, églises,
Cour des miracles, cour d’assises :
–Quarts-d’heure d’immortalité !
 
Tu parais ! c’est l’apothéose !!!...
Et l’on te jette quelque chose :
–Fleur en papier, ou saleté. –
 
                      —————
 
Donc, la tramontane est montée :
Tu croiras que c’est arrivé !
Cinq-cent-millième Prométhée,
Au roc de carton peint rivé.
 
Hélas : quel bon oiseau de proie,
Quel vautour, quel Monsieur Vautour
Viendra mordre à ton petit foie
Gras, truffé ?... pour quoi – Pour le four !...
 
Four banal !... – Adieu la curée ! –
Ravalant ta rate rentrée,
Va, comme le pélican blanc,
 
En écorchant le chant du cygne,
Bec-jaune, te percer le flanc !...
Devant un pêcheur à la ligne.
 
                      —————
 
Tu ris. – Bien ! – Fais de l’amertume.
Prends le pli, Méphisto blagueur.
De l’absinthe ! et ta lèvre écume...
Dis que cela vient de ton cœur.
 
Fais de toi ton œuvre posthume.
Châtre l’amour... l’amour – longueur !
Ton poumon cicatrisé hume
Des miasmes de gloire, ô vainqueur !
 
Assez, n’est-ce pas ? va-t’en !
                                  Laisse
Ta bourse – dernière maîtresse –
Ton revolver – dernier ami...
 
Drôle de pistolet fini !
... Ou reste, et bois ton fond de vie,
Sur une nappe desservie...

Les Amours jaunes (1873)

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