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Dormeuse

               À Gustave Godard.
 
 
Le soleil du matin tombe en bruine d’or
À travers les rideaux de blanche mousseline :
C’est comme un fin brouillard de lumière en sourdine
Éclairant l’oreiller d’une blonde qui dort.
 
Les cheveux, déroulés comme un torrent de soie
Riche de tous ses flots trop longtemps contenus,
Débordent sur l’épaule et baisent les seins nus
De la femme qui rêve... et sourit dans sa joie.
 
Elle s’épanouit sous des regards aimés ;
L’amoureux ébloui contemple sa dormeuse,
Écoutant respirer la paisible charmeuse
Qui, dans un songe bleu, sourit les yeux fermés.
 
À travers les grands cils de ses paupières closes,
Il voudrait voir un seul de ses rêves charmants !
Quelle image apparaît à ses beaux yeux dormants ?
Cueille-t-elle des lis, des bluets ou des roses ?
 
Le sein veiné d’azur s’agite... Elle a parlé
(La parole n’est pas un murmure d’abeille);
Un mot s’est échappé de sa bouche vermeille,
Un nom d’homme inconnu, très-bien articulé !
 
Nom sonore et vibrant dont toutes les syllabes
Comme un timbre d’or pur ont clairement tinté.—
Ce n’est pas lui qui rêve... Il a trop écouté.—
Il n’est pas endormi dans les contes arabes.
 
Muet, anéanti, devant ce frais sommeil
Qui laisse voir le fond d’une pensée intime,
Sur la femme penché comme sur un abîme,
Il retient son haleine, épiant le réveil.
 
Mais toute à son bonheur la dormeuse paisible,
Comme souriant d’aise à l’écho de sa voix,
Répète le nom d’homme une seconde fois,
Et voici l’amoureux qui jette un cri terrible.
 
La blonde ouvre ses yeux divins : « Si tu savais...
(Lui dit-elle tout bas en lui baisant l’oreille)
—Dieu voit d’en haut la femme heureuse qui sommeille
Par les sentiers fleuris du printemps je rêvais.—
 
« Tu n’as pas vu de fleurs si richement écloses...
Avril, mai, juin, juillet... N’as-tu pas deviné ?
J’ai trouvé le beau nom de notre premier-né,
Tout en cueillant des lis, des bluets et des roses ! »

Les charmeuses (1864)

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