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Grandes eaux

                     À Charles Deulin.
 
 
Elle sort de son lit, la Marne aux eaux boueuses.
Les saules ébranchés que l’on voit sur deux rangs,
Pris dans le tourbillon jaunâtre des courants,
Marquent les anciens bords de leurs têtes noueuses.
 
Sous les arches des ponts, les eaux, de temps en temps,
Enchevêtrent, parmi leurs épaves confuses,
De vieux arbres tombés en longs débris flottants.
Et des barres de vanne et des pales d’écluses.
 
De brouillards persistants, tout le ciel embrumé
Garde depuis un mois son voile gris de cendre :
On ne peut, au travers du grand rideau fermé,
Voir les soleils d’hiver ni monter, ni descendre.
 
On entend de fort loin des cygnes migrateurs,
Tout désorientés, dont les bandes sauvages
Délibèrent sans doute à d’immenses hauteurs,
Accélérant leur vol pour de plus chauds rivages,
 
Quelques rares oiseaux restés dans le pays,
Mésanges et bouvreuils, consternés du déluge,
Recherchent, en dehors des terrains envahis,
Un buisson de hasard comme dernier refuge.
 
De l’horizon, la nuit fait brusquement le tour :
Deux ou trois peupliers, une flèche d’église,
Apparaissent encor dans un reste de jour,
Mais bientôt tout s’efface, et plus âpre est la bise.
 
Et de la tête aux pieds je frissonne en songeant
Que, sur les grands chemins de notre froide terre,
Grelottent de petits bohèmes voyageant,
Pour qui déjà la vie est un navrant mystère.
 
Ils plongent dans la nuit un triste et long regard,
En quête d’une ferme ou d’une hôtellerie :
Trouveront-ils un coin d’étable ou de hangar,
Comme, un soir de Noël, le fils blond de Marie ?

Les charmeuses (1864)

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