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La chambre close

La chambre est fermée et vide, bien vide
Seul, le soleil, à certaines heures, déplace sa ligne sur les
couvertures en désordre et sur l’oreiller froissé ;
Une robe, sur une chaise, palpite par instants au souffle
d’un mystérieux courant d’air.
 
Un cheveu frémit aussi sur le drap replié,
Et l’horloge qui bat encore et ne tardera pas à s’arrêter,
chante dans le désert.
Colibri du soir, colibri du matin,
Mon beau colibri entre dans la chambre,
Bat des ailes,
 
Éclate en couleurs vives sur l’oreiller.
L’arc-en-cicl pâlit dans le ciel autour des parterres
 
d’étoiles.
Mon beau colibri, colibri du soir et du matin,
Vole.
Heurte ta tête nue à ton double dans la glace dont le
 
tain s’écaille.
Saigne.
Meurs.
 
Mon beau colibri du soir et du marin.
Ventre gonflé,
Bec sanglant,
Ailes ouvertes,
Pattes raidies,
Meurs
Afin que dans la chambre vide le soleil déplace sa ligne
 
autour de ton cadavre
Où la fenêtre se reflète dans le sang qui poisse ton duvet.
Pour un chant identique, pour un vol égal,
Paré des mêmes couleurs,
Colibri du soir, colibri du marin,
Tu renaîtras.
 
Et dans la chambre vide, l’horloge à nouveau chantera
Colibri, colibri,
Colibri du soir, colibri du matin.
 
L’oiseau qui vole vers la côte
n’est pas près du bord où, tendant les lèvres,
Le ciel de terre, au ciel de mer
offre un baiser d’écume.
n’a pas tort de voler, l’oiseau perdu en mer, n’a pas tort, le marin qui fixe à l’avant du navire, figure de proue, figure de rêve, 'image même de celle qu’il aime.
 
Ceci se passe loin de tous les continents,
Loin des continents herbus où courent les taureaux sauvages,
Loin des continents mouillés où le lamantin et l’hippopotame
Barbotent grassement dans la boue qui luit et sèche et craque,
Loin des continents de ville et d’amour,
Loin des continents d’éternelle jalousie,
Loin des continents de steppe et de neige et de sable,
Loin des continents de soleil
 
Ceci se passe où je veux,
Au pays des sirènes et des typhons, au pays des roulements de tonnerre
Près du continent du ciel aride,
Dans l’archipel éternel des nuages.
 
Roulez, roulez, nuages, tandis que l’oiseau vole.
Non loin de là,
Une fiancée reçoit pour sa fête
La carte postale d’éternel serment
 
La colombe, au bec, tient la lettre cachetée : «
Je vous jure un amour de toujours. »
Roulez, roulez, nuages, archipel de nuages,
Océan, aride océan.
 
Les fontaines se lamentent loin des oiseaux
Loin du murmure du vent dans les platanes.
A pleine gueule, le poisson que tient la sirène
Crache l’eau dans la lueur des réverbères et les reflets du macadam.
 
Et toute cette histoire s’achève,
Loin des yeux, loin du cœur,
Près de l’éternel serment.
 
A
Paris, place de la
Concorde
 
Une femme la plus belle et la plus touchante passe
Seule, à pied, triste.
 
Et, loin d’elle, au-dessus de la mer
vole un oiseau
Et jamais la femme ne verra le vol de cet oiseau jamais,
 
de son ombre, le vol de cet oiseau ne rayera
Le chemin suivi par cette femme.
Jamais ?
Est-ce bien sûr ? ô, rencontres—
 
ô, fontaines gémissantes au cœur des villes ô, cœurs gémissants par le monde.
 
Vive la vie !
 
L’oiseau terrible, menaçant,
Est sur une branche de l’arbre épouvantable
Et la mort est cachée dans un couteau.
Le rire des furieuses
T’ouvre la bouche en vain.
Je te sais condamnée,
Je refuse de te sauver.
L’arbre est en feu
 
Et la mort est inscrite en lettres majuscules,
Pendue à tes cheveux,
Reliée à ta nuque par des fleurs souterraines,
Mêlée à tes regards.
 
Ton front est une injure,
Une pierre dans un gouffre,
Ma langue dans ma bouche.
 
Je sais qu’il n’est jamais plus temps.
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