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Le tout, le rien

C’est la dernière neige de la saison,
La neige de printemps, la plus habile À recoudre les déchirures du bois mort
Avant qu’on ne l’emporte puis le brûle.
 
C’est la première neige de ta vie
Puisque, hier, ce n’étaient encore que des taches
De couleur, plaisirs brefs, craintes, chagrins
Inconsistants, faute de la parole.
 
Et je vois que la joie prend sur la peur
Dans tes yeux que dessille la surprise
Une avance, d’un grand bond clair : ce cri, ce rire
Que j’aime, et que je trouve méditable.
 
Car nous sommes bien proches, et l’enfant
Est le progéniteur de qui l’a pris
Un matin dans ses mains d’adulte et soulevé
Dans le consentement de la lumière.
 
II
 
Oui, à entendre, oui, à faire mienne
Cette source, le cri de joie, qui bouillonnante
Surgit d’entre les pierres de la vie
Tôt, et si fort, puis faiblit et s’aveugle.
 
Mais écrire n’est pas avoir, ce n’est pas être,
Car le tressaillement de la joie n’y est
Qu’une ombre, serait-elle la plus claire,
Dans des mots qui encore se souviennent
 
De tant et tant de choses que le temps
A durement labourées de ses griffes,—
Et je ne puis donc faire que te dire
Ce que je ne suis pas, sauf en désir.
 
Une façon de prendre, qui serait
De cesser d’être soi dans l’acte de prendre,
Une façon de dire, qui ferait
Qu’on ne serait plus seul dans le langage.
 
III
 
Te soit la grande neige le tout, le rien,
Enfant des premiers pas titubants dans l’herbe,
Les yeux encore pleins de l’origine,
Les mains ne s’agrippant qu’à la lumière.
 
Te soient ces branches qui scintillent la parole
Que tu dois écouter mais sans comprendre
Le sens de leur découpe sur le ciel,
Sinon tu ne dénommerais qu’au prix de perdre.
 
Te suffisent les deux valeurs, l’une brillante,
De la colline dans l’échancrure des arbres,
Abeille de la rie, quand se tarira
Dans ton rêve du monde ce monde même.
 
Et que l’eau qui ruisselle dans le pré
Te montre que la joie peut survivre au rêve
Quand la brise d’on ne sait où venue déjà disperse
Les fleurs de l’amandier, pourtant l’autre neige.
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