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Sous les hêtres

                     À Francis Blin.
 
 
Las du rail continu, du sifflet des machines,
Conduit par mes deux pieds, comme un simple marcheur,
J’aime à vivre en plein bois dans l’herbe des ravines,
Enveloppé d’oubli, de calme et de fraîcheur.
 
Là jamais aucun bruit des wagons ni des cloches ;
Pas même l’Angélus d’un village lointain.
J’écoute un filet d’eau qui, filtrant sous les roches
Fait frémir au départ trois feuilles de plantain.
 
Le beau loriot jaune et la mésange bleue,
Souvent de compagnie avec le merle noir,
Doux chanteurs buvant frais, viennent d’un quart de lieue,
Réjouis du bain pur et charmés du miroir.
 
Le plus riche voisin de la source limpide
Parfois comme un éclair s’échappe des roseaux :
C’est un martin-pêcheur au vol droit et rapide,
Emportant sur son aile un reflet vert des eaux.
 
Blutée à petit jour par les feuilles de hêtre,
Une lueur discrète éclaire les ravins,
Peuplés d’esprits follets que j’aime à reconnaître :
Sphinx, papillons nacrés, faunes et grands sylvains.
 
Sous la haute forêt le cœur troublé s’apaise.
Les plus fraîches senteurs m’arrivent à la fois.
Est-ce un parfum de menthe, un souvenir de fraise ?
Est-ce le chèvrefeuille ou la rose des bois ?
 
Rêveur enseveli dans une paix profonde,
Du long fuseau des jours j’aime à perdre le fil,
J’aime à ne plus savoir quel âge a notre monde.
Si je suis un enfant du siècle ou de l’an mil ;
 
Et j’aime à voir passer là-bas, gardant ses chèvres,
La petite fileuse au sourire ingénu,
Qui va chantant d’un cœur aussi pur que ses lèvres
Une vieille chanson d’un poète inconnu :
 
La chanson qui jadis a charmé sa grand’mère,
Et qu’aux arbres des bois souvent on redira,
Tant qu’on pourra cueillir muguet et primevère,
Et que la fleur d’amour dans une âme éclôra.

Les charmeuses (1864)

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