Paul Verlaine

Guerrière, militaire et virile en tout point

Guerrière, militaire et virile en tout point,
La sainte Chasteté que Dieu voit la première,
De toutes les vertus marchant dans sa lumière
Après la Charité distante presque point,
 
Va d’un pas assuré mieux qu’aucune amazone
A travers l’aventure et l’erreur du Devoir,
Ses yeux grands ouverts pleins du dessein de bien voir,
Son corps robuste et beau digne d’emplir un trône,
 
Son corps robuste et nu balancé noblement.
Entre une tête haute et des jambes sereines,
Du port majestueux qui sied aux seules reines,
Et sa candeur la vêt du plus beau vêtement.
 
Elle sait ce qu’il faut qu’elle sache des choses.
Entre autres que Jésus a fait l’homme de chair
Et mis dans notre sang un charme doux-amer
D’où doivent découler nos naissances moroses.
 
Et que l’amour charnel est bénit en des cas.
Elle préside alors et sourit à ces fêtes,
Dévêt la jeune épouse avec ses mains honnêtes
Et la mène à l’époux par des tours délicats.
 
Elle entre dans leur lit, lève le linge ultime,
Guide pour le baiser et l’acte et le repos
Leurs corps voluptueux aux fins de bons propos
Et désormais va vivre entre eux leur ange intime.
 
Puis au-dessus du couple ou plutôt à côté,
—Bien agir fait s’unir les vœux et les nivelle,—
Vers le Vierge et la Vierge isolés dans leur belle
Thébaïde à chacun la sainte Chasteté.
 
Sans quitter les Amants, par un charmant miracle,
Vole et vient rafraîchir l’Intacte et l’Impollu
De gais parfums de fleurs comme s’il avait plu
D’un bon orage sur l’un et sur l’autre habitacle,
 
Et vêt de chaleur douce au point et de jour clair
La cellule du Moine et celle de la Nonne,
Car s’il nous faut souffrir pour que Dieu nous pardonne.
Du moins Dieu veut punir, non torturer la chair.
 
Elle dit à ces chers enfants de l’Innocence :
Dormez, veillez, priez. Priez surtout, afin
Que vous n’ayez pas fait tous ces travaux en vain.
Humilité, douceur et céleste ignorance !
 
Enfin elle va chez la Veuve et chez le Veuf,
Chez le vieux Débauché, chez l’Amoureuse vieille,
Et leur tient des discours qui sont une merveille
Et leur refait, à force d’art, un corps tout neuf.
 
Et quand alors elle a fini son tour du monde,
Tour du monde ubiquiste, invisible et présent,
Elle court à son point de départ en faisant
Tel grand détour, espoir d’espérance profonde ;
 
Et ce point de départ est un lieu bien connu,
Eden même : là sous le chêne et vers la rose.
Puisqu’il paraît qu’il n’a pas faire autre chose,
Rit et gazouille un beau petit enfant tout nu.

Bonheur (1891)

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