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Point du jour

Le trois nivôse an II de la République Roger se dressa sur son lit. Des têtes de nègres mugissaient sur les fleuves et l’on suspendait le clergé français par les pieds aux lampadaires de l’avenue de l’Opéra.

Debout Roger s’écria :

« Je m’appelle Robert Desnos la plume au vent c’est la honte des femmes fécondées. Écoutez écoutez la Marseillaise qui porte vers les frontières un petit peu de vinaigre et du feu central.

Allons Patrie mort des enfants
L’arrivée n’est pas la gloire des tyrans
que tu baises au front levé des étendards
Marchons marchons
Que du sillon sorte le sang. »

Trois carriéristes lui passèrent sa chemise, son fin caleçon de soie sa veste de velours à côtes, son casque, son sabre, ses allumettes, son mouchoir et un petit drapeau en cas de grand besoin. Quand il fut prêt il fit à l’historien habituel de sa famille la sanglante histoire transcrite ci-après.

« Volontaire de l’an II je suis monté sur l’estrade dressée place de la Révolution. Des messieurs en redingote s’y tenaient enrubannés de soie tricolore comme des moutons de comice agricole. Un petit vieux en avait fait des papillotes. Les autres s’étaient contentés d’orner leurs oreilles pour réparer l’irréparable surdité de leur sexe. Un tambour battait smistrement au bas des marches. Sur un calicot on lisait « La Patrie est en danger ». C’est alors que devant la marche triomphale de l’ennemi, de l’ennemi abhorre, détrousseur de filles et voleur de pendules, de l’ennemi dont le ventre était Brunswick et la tête Goethe, c’est alors que les jeunes gens de seize ans et les vieillards se disputèrent la gloire de marcher vers un honorable trépas. Les campagnes alors étaient parsemées de drapeaux.

Au bas des marches ronflaient les tambours. Les pères et les fils, les larmes aux yeux, à l’idée de la patrie relevaient leurs pantalons longs jusqu’au-dessus des genoux et ils montaient vers les vieillards. Ceux-ci leur donnaient des livres reliés de toile reuge et dorés sur tranche, des couronnes de lauriers en papier doré, des livrets de caisse d’épargne. De joie la populace.s’enivrait dans les faubourgs. Mais moi ma couronne sur la tête, mon livret de caisse d’épargne dans ma poche, je me cachais pour lire le livre qu’on m’avait donné.

Le titre était « Sauve qui peut. »

« Un jour, commençait l’auteur, je rencontrai sur une route une femme merveilleuse elle avait des seins de poissons et ses yeux murmuraient à l’âme des choses impondérables. Mon père que ce commerce intriguait, dépensa sa fortune à provoquer des accidents de chemin de fer pour causer la mort de la belle inconnue. Peine perdue ils s’épousèrent et leur fils, fils de ma maîtresse fut spécialement dressé par un orang-outang à repriser mes chaussettes et à provoquer des courts-circuits buccaux dans mon individu... »

J’aurais continué cette poétique lecture si Robespierre n’avait posé sa main sur mon épaule. Nous étions sur une colline. Il me montra l’oeuvre de la Guillotine. Quatre cent mille têtes jonchaient les marais. Des femmes leur suçaient la cervelle. Fou de joie à ce spectacle j’embrassai Robespierre. Il posa sur moi un long regard triste et doux, m’étreignit sur sa poitrine et, avant de se dissoudre en fumée odorante de cigarette anglaise il me dit :

« Tu t’appelleras Danger de mort. »

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